Médecines complémentaires dans le canton de Vaud: Recours et offre actuels, principaux enjeux sanitaires et possibilités de réglementation

Abstract

Selon les données de l'Enquête suisse sur la santé (ESS), le canton de Vaud comprend une des plus grandes proportions d'utilisateurs de médecines complémentaires « au cours des 12 derniers mois » en Suisse (30% en 2012). L'homéopathie, la phytothérapie et l'acupuncture sont les thérapies les plus prisées. L'auto-recours dans le domaine des médecines complémentaires est difficile à estimer. Sur la base des quelques études disponibles en Suisse, ce phénomène paraît néanmoins fréquent. Selon une enquête téléphonique conduite auprès d'un échantillon représentatif d'adultes en Suisse, seuls 34% des répondant/es consultant des thérapeutes non-médecins affirment en informer toujours leurs médecins traitants.

Dans le canton de Vaud, 2572 individus sont au bénéfice d'une accréditation de la Fondation suisse pour les médecines complémentaires (ASCA) et/ou du Registre des médecines empiriques (RME) pour l'une ou plusieurs des 140 thérapies recensées par ces deux organismes privés (de l'acupuncture à la thérapie par les sons et ultra-sons). Moins de 1% d'entre eux sont des médecins diplômés. On compte en moyenne un peu plus de deux accréditations par thérapeute, avec un maximum de 14 accréditations différentes pour un seul thérapeute. L'offre la plus abondante (massage classique, réflexologie plantaire) concerne des thérapies qui ne sont pas explicitement mentionnées dans les options de réponse de l'ESS. En l'absence d'une obligation d'enregistrement auprès des autorités sanitaires, les thérapeutes non accrédités échappent à toute possibilité d'inventaire fiable. Les attestations de formation complémentaire délivrée aux médecins vaudois par la Fédération des médecins suisses (FMH) sont au nombre de 57 pour l'acupuncture, 37 pour l'homéopathie, 3 pour la thérapie neurale, et 5 pour la thérapie anthroposophique.

La revue ciblée de la littérature sur les risques des médecines complémentaires auxquelles la population vaudoise recourt le plus fréquemment confirme l'existence d'effets indésirables de différentes natures (intoxications, lésions traumatiques, infections, interactions avec d'autres traitements). La majorité des articles passés en revue mentionnent que les effets indésirables sévères sont rares, mais leurs taux d'incidence demeurent très peu documentés. Parmi les rares études rapportant des taux d'incidence, une revue de la littérature se basant sur les données de 12 études de cohorte prospectives ayant généré plus de 1'100'000 traitements d'acupuncture estime l'incidence d'effets indésirables graves à 0.05 pour 10'000 traitements (4 pneumothorax et 2 aiguilles cassées). Les entretiens réalisés au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) sont concordants avec l'analyse de la littérature scientifique. La qualité et le contrôle de la formation des thérapeutes et le contrôle strict des produits thérapeutiques sont les deux facteurs qui ressortent le plus fréquemment de la littérature et des entretiens comme garants d'une réduction des risques médicaux.

A l'heure actuelle, la reconnaissance des formations dispensées en Suisse dans le domaine des médecines complémentaires repose essentiellement sur l'appréciation d'organismes privés (ASCA et RME), ou d'associations professionnelles (par exemple : Organisation professionnelle suisse de médecine traditionnelle chinoise, Société Suisse de Phytothérapie Médicale). Les critères de reconnaissance des formations ne sont pas standardisés et les pratiques en la matière varient en fonction des organismes qui procèdent à cette reconnaissance. Les praticiens rencontrés verraient plutôt d'un bon oeil l'instauration de critères plus exigeants reconnus sur le plan fédéral. Plusieurs répondant/es mentionnent leur intérêt pour une meilleure information du public au sujet des médecines complémentaires.

Deux nouveaux diplômes fédéraux sont actuellement en cours d'élaboration par le Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation (SEFRI), en collaboration avec les deux organisations du monde du travail concernées. Le diplôme le plus exigeant sera décerné aux futurs « Praticiens de naturothérapie diplômé en : médecine ayurvédique, homéopathie, médecine traditionnelle chinoise, ou naturopathie européenne traditionnelle ». Ceux-ci pourront poser des diagnostics dans leurs disciplines, ils pourront proposer et distribuer des produits thérapeutiques non soumis à ordonnance et pourront réaliser des gestes invasifs dont la nature exacte n'est pas précisée dans la description actuelle du profil professionnel. Le second diplôme sera décerné aux futurs « Thérapeute complémentaire avec diplôme fédéral ». Ceux-ci proposeront des méthodes de soins interactives centrées sur le corps et se basant sur l'utilisation des ressources internes en matière de guérison. La procédure de consultation pour le diplôme de « thérapeute complémentaire » a eu lieu au mois de septembre 2014. Le règlement du diplôme « praticien de naturothérapie » sera publié dans la feuille fédérale d'ici à la fin de l'année. Les cantons et les autres acteurs concernés bénéficieront à ce moment d'un délai limité (30 jours) pour faire opposition auprès du SEFRI s'ils le jugent nécessaire.

Les cantons ne réglementent pas tous l'exercice des médecines complémentaires et ne conditionnent pas tous cet exercice à l'obtention d'une autorisation de pratique formelle. Les douze cantons exigeant une telle autorisation recourent à des méthodes d'appréciation des candidatures très variées. Certains cantons exigent la titularité de diplômes décrits souvent de manière générale, évoquant notamment des diplômes « reconnus » par l'administration ou par des organes professionnels. La législation du canton de Zürich prévoit une réglementation de ce type à titre transitoire, dans l'attente de la mise sur pieds de diplômes fédéraux. D'autres cantons confient cette appréciation à une commission ad hoc (par ex. Bâle Ville). Le canton du Tessin exige la réussite d'un examen cantonal appréciant les connaissances dans certaines disciplines médicales de base. La loi sur le marché intérieur limite la portée d'une réglementation cantonale qui restreindrait de manière plus stricte qu'ailleurs en Suisse l'accès à la pratique des médecines complémentaires.

Les analyses réalisées identifient un certain nombre de besoins théoriques pour lesquels des pistes d'action sont proposées. Parmi ces besoins, on citera : le fait de disposer d'un moyen fiable et dynamique de recenser l'offre en médecines complémentaires dans le canton ; le contrôle de la qualité de la formation des praticiens en médecines complémentaires ; ou encore le fait de faciliter l'accès des professionnels de la santé et du public à une information fiable sur les médecines complémentaires. Introduire une obligation pour les praticiens en médecines complémentaires de s'inscrire auprès des autorités sanitaires et exiger l'obtention d'une autorisation de pratique après vérification des connaissances médicales de base sont deux pistes d'action privilégiées. Une coordination entre les cantons en matière de réglementation de l'exercice des médecines complémentaires semble indispensable à terme en raison des effets induits par la Loi fédérale sur le marché intérieur.