Médicaments chez les seniors vaudois à domicile : nombre et composition

Abstract

Introduction

La question de la pertinence et de la sécurité des traitements médicamenteux dans la population âgée prend toujours plus d’importance dans nos sociétés en raison de l’accroissement en nombre des personnes âgées et de l’expansion continuelle des possibilités thérapeutiques. La nécessité d’individualiser et de rationnaliser la prescription chez le sujet âgé est universellement reconnue. Par ailleurs, il est bien documenté que le fait de prendre un nombre élevé de médicaments différents accroît le risque d’effets indésirables, de défaut d’adhérence et de difficultés de gestion des traitements. La présente étude explore les traitements médicamenteux des seniors vaudois et formule des propositions visant une «polymédication rationnelle».

Matériel et méthodes

Une enquête conduite en 2012 dans le canton de Vaud auprès de 3'133 personnes âgées de 69 ans et plus vivant en domicile privé comportait une section sur le traitement médicamenteux actuel des répondants (autodéclaration, questionnaire rempli à domicile). Les réponses à cette question sont analysées dans l’objectif de décrire la consommation de médicaments en termes quantitatifs (notamment mesurer la prévalence de la polymédication), ainsi que la relation entre polymédication et certains facteurs d’influence, et la composition des traitements. Les données ont été pondérées pour redresser l’échantillon en fonction de la population source. Les médicaments ont été codés par la classification ATC (Anatomical Therapeutic Chemical Classification). La polymédication est ici définie comme la prise actuelle et régulière d’au moins cinq médicaments usuels (i.e. officiellement enregistrés en Suisse et ne relevant pas de médecines alternatives ou complémentaires).

Résultats

Le taux de participation est de 71%. L’âge médian est de 77 ans, avec une prédominance de femmes (57%). Presque toutes les personnes déclarent avoir un médecin traitant.
En termes quantitatifs, la plupart des personnes (84%) prennent au moins un médicament de manière régulière; le nombre maximal de médicaments usuels pris régulièrement est de 17. Une polymédication est présente dans 27% de la population et augmente avec l’âge, passant de 18% chez les personnes de 69-74 ans à 38% chez les personnes âgées de 85 ans et plus. Les facteurs significativement reliés à la polymédication sont l’âge avancé et l’augmentation du nombre de maladies chroniques, sans influence significative du sexe ni du niveau de formation.
En termes de composition du traitement, les médicaments les plus utilisés sont les agents cardiovasculaires (avec près de 70% des personnes rapportant la prise régulière d’au moins un agent cardiovasculaire, et 9% celle d’au moins un antidiabétique) et les psychotropes (18% des personnes citant au moins un psychotrope).
En revanche, seules 14% des personnes rapportent la prise régulière de calcium et de vitamine D, et 13% celle d’au moins un antalgique par voie systémique. Enfin, près de 18% des personnes rapportent la prise régulière d’au moins un médicament relevant de médecines alternatives ou complémentaires.

Discussion et propositions

Les points forts de cette étude sont un collectif de grande taille avec un taux de réponse élevé et peu de données manquantes, ainsi qu’un recueil de données large et un codage rigoureux. Ses points faibles sont un possible biais de recrutement en faveur de participants motivés et sans troubles cognitifs ainsi que l’absence d’autre source d’information à laquelle confronter les déclarations des participants.
Nos résultats sont en accord avec les observations effectuées dans de nombreuses études similaires. Ils montrent, sans surprise, que les personnes les plus âgées et ayant plusieurs atteintes à la santé chroniques présentent un cumul de risque de polymédication, alors que ce sont aussi celles qui sont le plus vulnérables face aux possibles effets néfastes de cette dernière. Ils indiquent également que la polymédication ne caractérise pas seulement les personnes d’âge très avancé, puisqu’elle touche une personne sur cinq déjà dans la tranche d’âge des 69-74 ans.
La prise en charge de la polymédication et les démarches de «déprescription» sont l’objet de travaux toujours plus nombreux ces dernières années, avec des résultats globalement encourageants. De nombreux acteurs sont impliqués dans cette prise en charge, incluant plusieurs corps professionnels (médecin, pharmacien, personnel infirmier), ainsi que le patient âgé lui-même et ses proches.
Pour le canton de Vaud, il existe de nombreuses opportunités de rationnaliser les traitements médicamenteux des personnes âgées, fragiles ou non, aussi bien dans le secteur hospitalier qu’ambulatoire et dans les institutions de soins de longue durée. En particulier, plusieurs mesures déjà mentionnées dans le cadre du programme cantonal Vieillissement et Santé devront continuer à se déployer. Deux éléments nous semblent par ailleurs essentiels à renforcer : d’une part, la formation des médecins et des autres professionnels de santé concernés à la pharmacothérapie gériatrique ; d’autre part, une approche participative et interdisciplinaire visant à prioriser les objectifs thérapeutiques et à maximiser la sécurité des traitements.