Evaluation épidémiologique du programme genevois de dépistage du cancer du sein, 2007-2011

Abstract

A l'instar de nombreux pays industrialisés, le cancer du sein est à Genève le cancer le plus fréquent (environ 460 cas par an) et la première cause de décès chez les femmes entre 45 et 55 ans. Depuis mars 1999, le Programme genevois de dépistage du cancer du sein a pour missions de promouvoir, d'organiser et de mener une action de prévention auprès de la population féminine du canton âgée de 50 à 69 ans. Des évaluations indépendantes et régulières permettent de s'assurer que la qualité et l'efficacité d'un programme de dépistage répondent à des normes internationales, périodiquement révisées. L'évaluation épidémiologique du programme genevois a été confiée à l'Institut universitaire de médecine sociale et préventive de Lausanne (IUMSP), en charge de l'évaluation des programmes de dépistage en Suisse. Ce rapport décrit l'évolution de 15 ans d'activité de dépistage (chapitre 2) et analyse l'utilisation (chapitre 3), la qualité (chapitre 4) et l'efficacité (chapitre 5) du programme genevois entre 2007 et 2011. Couvrant 86'720 mammographies et près de 37'000 femmes, ce rapport s'intéresse aussi, au-delà des indicateurs usuels de performance, à mieux estimer certains effets indésirables comme les résultats faussement positifs ou les cancers survenant entre 2 examens de dépistage (dits cancers d'intervalle). L'évolution depuis 2007 de l'organisation des lectures du programme tend clairement vers une plus grande centralisation avec une baisse délibérée du nombre de radiologues agréés, surtout de 1e lecteurs. Conjugué à la croissance régulière du nombre de mammographies réalisées (7500/an entre 2008 et 2011), il en résulte une substantielle augmentation du volume individuel de lectures. Le nombre de mammographies interprétées par les radiologues 1e (260/an) et 2e (1850/an) lecteurs reste cependant modeste et sensiblement inférieur aux pratiques recommandées. Ces chiffres n'incluent pas la forte activité mammographique réalisée hors programme. Si 3 genevoises sur 10 ont recours au programme, 7 sur 10 y reviennent régulièrement. Les taux de participation (28%) et surtout de fidélisation (69%) ont fortement progressé entre 2007 et 2011. Ces tendances touchent toutes les tranches d'âge concernées. En incluant le dépistage individuel, la couverture par mammographie de la population féminine genevoise entre 50 et 69 ans dépasserait largement les normes européennes (70 à 75%). Cependant, la participation en première invitation (taux d' « accrochage » au programme: 26%), qui concerne surtout les femmes jeunes (50-54 ans), diminue depuis 2010. La baisse du taux d'accrochage, un prédicteur fiable des tendances participatives, mérite une surveillance attentive. Avec environ 9% des femmes rappelées suite à un résultat jugé suspect en première participation (6% en participation ultérieure), pour un taux de détection de cancer légèrement en dessous du minimum requis, les normes européennes de qualité ne sont pas atteintes. Le taux de reconvocation trop élevé engendre des excès de résultats faussement positifs (8,3% en première participation et 5,4% en participation ultérieure) et d'imageries additionnelles. Ce taux élevé est surtout manifeste chez les 1e lecteurs et coïncide avec l'usage progressif de consoles numériques. En revanche, les investigations complémentaires sont de qualité satisfaisante : 8 genevoises sur 10 ont bénéficié d'un bilan diagnostic sans prélèvement tissulaire et 9 cancers sur 10 ont été dépistés sur la base d'un diagnostic non-opératoire. Ces résultats reflètent les progrès de la médecine. La fréquence des cancers d'intervalle du programme est mesurable pour les mammographies réalisées jusqu'en 2009, à cause du recul de 2 ans nécessaire pour calculer leur fréquence et de la disponibilité des données d'incidence, indispensables à l'identification des cancers d'intervalle (dernière année d'incidence complète au Registre genevois des tumeurs: 2011). Cette fréquence est en adéquation avec le référentiel européen et comparable aux résultats observés dans d'autres programmes suisses. Sur 10 cancers d'intervalle, 7 n'ont fait l'objet d'aucun signalement de lésion suspecte lors du dernier dépistage. Sur 10 cancers invasifs dépistés entre 2007 et 2011, 3 sont de taille inférieure ou égale à 10 mm et 7 n'ont pas d'atteinte ganglionnaire. Selon le tour d'invitation, 14 à 19% des cancers dépistés ne sont pas invasifs (% in situ). Ces performances reflètent une précocité diagnostique proche des exigences européennes. En revanche, la part de cancers de stade avancé est élevée (37% contre 25-30% maximum requis), en partie à cause du retard dans la réalisation d'un nouveau dépistage après réinvitation. L'inhabituelle similarité des résultats entre les tours prévalent (1e invitation) et incident (tour subséquent) correspond à une population pratiquant régulièrement le dépistage. Les résultats de cette évaluation confirment les connaissances épidémiologiques, à savoir un profil pronostique moins favorable pour les cancers d'intervalle que pour les cancers dépistés: stade au diagnostic plus avancé, moindre différenciation histologique et récepteurs hormonaux (surtout progestérone) moins souvent positifs. Il en résulte un risque plus élevé de mastectomie en cas de cancer d'intervalle. En conclusion, les performances récentes du programme genevois de dépistage (sensibilité : 66,4% et spécificité : 92,4%) se traduisent, pour 1000 participations, par : 924 résultats normaux (vrais négatifs), 68 résultats faussement positifs (dont 10 induiront un examen invasif), 6 cancers détectés (1 in situ, 3 invasifs de stade précoce et 2 invasifs de stade avancé) dont 1 nécessitera une mastectomie, et 2 cancers d'intervalle. La plupart des femmes (plus de 99%) sont rassurées à juste titre en cas de mammographie normale. Cinq recommandations accompagnent ce rapport. Elles portent sur la nécessité (1) d'augmenter le volume annuel de lectures par radiologue, (2) de diminuer le taux de reconvocation, (3) de réduire l'hétérogénéité de performances entre 1e et 2e lecteurs, (4) d'entreprendre une relecture des clichés précédant la survenue d'un cancer, soit diagnostiqué entre 2 participations soit dépisté lors de la participation ultérieure, et (5) de mesurer objectivement et quantitativement la densité mammaire. Leur mise en oeuvre, en particulier des 3 premières, contribuera à consolider le niveau de performances atteint et à améliorer la qualité du programme genevois.