Rapport final de l’étude longitudinale Ado@internet.ch

Abstract

Introduction

En Suisse, à l’instar de ce que l’on constate dans d’autres pays d’Europe, le pourcentage des 14 à 19 ans utilisant régulièrement Internet a augmenté de manière spectaculaire entre 1997 (4%) et 2013 (97%) selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique. De par sa commodité d’accès en tout lieu et en tout temps, les jeunes ont su s’approprier les usages et les activités variées d’Internet et ils y passent une partie importante de leur temps pour se divertir, s’informer ou étudier. A ce jour, rares sont encore les études longitudinales qui permettent d’examiner l’évolution de leurs usages d’internet ou les implications à moyen et long terme de ce média sur la santé des adolescents. Pratiques en constante mutation, il est impératif de suivre l’évolution d’Internet des adolescents, car ces derniers constituent un groupe particulièrement vulnérable aux multiples attractions du web.

Objectifs

Les objectifs principaux de cette étude étaient de:

  1. Quantifier l’évolution sur les deux ans de l'utilisation d’Internet chez les adolescents vaudois en faisant la distinction entre le temps dédié à l’école/au travail et le temps dédié aux loisirs
  2. Décrire les activités en ligne qui occupent les adolescents et investiguer si ces activités changent au fil du temps.

Méthodes

L’enquête ado@Internet.ch'; // --> est une étude longitudinale comprenant 5 vagues (6 mois entre chaque point de mesure) menée entre 2012 et 2014 auprès d’un échantillon de plus de 3000 adolescents du canton de Vaud (âge moyen en 2012 : 14.2 années). Les données présentées dans ce rapport concernent un sous-échantillon représentatif d’adolescents (n=621) ayant répondu à l’enquête à trois temps de mesure en 2012, 2013 et 2014.

Lors de chaque vague, les répondants ont rempli un questionnaire sur ordinateur portant sur 6 grands domaines : sociodémographique, scolaire, familial, utilisation des écrans et d’Internet, santé, usage de substances psychoactives. Afin d’analyser l’effet de la raison principale pour utiliser Internet les jours d’école nous avons divisé l’échantillon en deux groupes: le Groupe Travail (Internet utilisé davantage pour le travail/études que pour les loisirs ou à proportion égale; 34.7% en 2012 ; 25.8% en 2013 ; 41.3% en 2014), et le Groupe Loisirs (Internet utilisé davantage pour les loisirs que pour le travail/étude : 65.3% en 2012 ; 74.2% en 2013 ; 58.7% en 2014). Par ailleurs, avec l’Internet Addiction Test (IAT), nous avons procédé à la moyenne des scores obtenus sur l’échelle sur les deux ans. Les données récoltées ont été analysées de manière à mettre en évidence un profil d’utilisation d’Internet par les adolescents du canton de Vaud et à explorer l’évolution de cette utilisation en comparant d’abord les groupes travail et loisirs, puis les garçons et les filles.

Résultats

Notre échantillon (n=621) est composé d’autant de filles que de garçons. L’âge moyen était de 14.2 ans (intervalle: 13-16 ans) en 2012, 15.2 ans en 2013 et 16.2 ans en 2014. Une petite minorité des enquêtés se ne sentait pas heureux (13.1%) au début de l’enquête, taux qui est resté relativement stable deux ans après (15.4%). Un quart des élèves se considéraient comme des bons élèves en 2012 alors qu’ils étaient un tiers en 2014. Plus de deux tiers des sondés vivaient dans une famille où les parents étaient toujours ensemble sur les deux ans. Enfin, en moyenne, les jeunes enquêtés pratiquaient une activité physique d’une durée d’au moins 60 minutes 3.1 jours par semaine en 2012 ; taux sensiblement plus élevé qu’en 2013 et 2014 (respectivement 2.8 et 2.6 jours par semaine). Environ un tiers des enquêtés faisaient du sport deux à trois fois par semaine au cours de la période de deux ans évaluée.

Concernant leur usage d’Internet, plus de deux tiers des sondés déclaraient passer du temps en ligne majoritairement pour les loisirs, taux qui a augmenté en 2013 puis a diminué en 2014. En ce qui concerne l’usage problématique, évalué au moyen de l’Internet Addiction Test, nos résultats indiquaient une diminution de la proportion de jeunes présentant une utilisation problématique d’Internet sur deux ans. Concernant les différents accès à internet, l’utilisation de l’ordinateur pour se connecter a chuté de 94% en 2012 à 65% en 2014 alors que le recours aux smartphones pour se connecter a augmenté considérablement (de 68.5% en 2012 à 88.4% en 2014).

De manière générale, les jeunes du Groupe Travail étaient plus heureux que les individus du Groupe Loisirs en 2012, différence qui a disparu néanmoins en 2013 et 2014. Les jeunes du Groupe Loisirs étaient également plus à risque de présenter un usage problématique d’Internet entre 2012 et 2014. Les jeunes du Groupe Loisirs étaient plus nombreux à se connecter au moins une fois par jour à Internet et à être en ligne deux heures et plus les jours d’école comparés aux jeunes du Groupe Travail sur les trois temps de mesure. La visite fréquente des sites de loisirs était très en vogue au sein des deux groupes et (dans une moindre mesure) celle de la recherche fréquente d’information sur le sport. La recherche d’information sur la santé, la sexualité et la médecine était, quant à elle, plus fréquente au sein du Groupe Travail.

Au sein du Groupe Travail, il y a eu une augmentation au fil du temps de la fréquentation régulière des sites pour télécharger/écouter de la musique, télécharger/visionner des films et ceux dédiés aux réseaux sociaux. Dans le Groupe Loisirs, la fréquentation des sites pour télécharger/écouter de la musique,  pour visionner des vidéos et des sites dédiés aux réseaux sociaux était élevée tout au long des deux ans de suivi. La fréquentation régulière des jeux en ligne a baissé fortement entre 2012 et 2014 et celle des sites de jeux d’argent en ligne était quasi inexistante au sein des deux groupes. Par ailleurs, au sein des deux groupes, nous avons relevé une augmentation considérable d’un mésusage de l’alcool et une augmentation constante de la consommation de tabac et de cannabis entre 2012 et 2014. Par rapport aux problèmes de santé, les problèmes de sommeil étaient les plus récurrents au cours de cette période de deux ans.

Les résultats en fonction du genre ont démontré que les filles rapportaient être moins heureuses que les garçons tout au long du suivi. Sur les deux ans également, elles ont indiqué faire moins d’activité physique et sportive que les garçons, alors que davantage de garçons étaient en obésité/surpoids et se considéraient moins bon élève. De manière générale, l’usage problématique d’Internet a diminué sur les deux ans parmi les deux groupes (score moyen de 31.3 pour les filles et 28.9 pour les garçons en 2012 contre 21.6 et 23.1 en 2014). Les jours d’école, les garçons étaient plus nombreux à être en ligne deux heures et plus comparés aux filles (respectivement 41.8% contre 34.6% en 2012 et 48.7% contre 40.9% en 2014).

Chez les garçons, nous avons relevé une augmentation de la fréquentation régulière des sites à caractère pornographique, des sites dédiés aux loisirs et à la recherche d’information sur la santé, la sexualité et la médecine de 2012 à 2014. Ces mêmes jeunes à 16 ans consultaient moins souvent les sites de jeux qu’ils ne le faisaient à 14 ans. Chez les filles, la fréquentation des sites dédiés aux loisirs était très en vogue alors que la fréquentation régulière des sites pornographiques était, quant à elle, très rare. Elles cherchaient également davantage d’informations sur la santé, la sexualité et la médecine en comparaison aux garçons. Globalement, environ 80% des garçons et des filles fréquentaient régulièrement des sites pour télécharger/écouter de la musique, pour visionner des vidéos et des sites de réseaux sociaux. Sur les deux ans, les jeux en ligne intéressaient davantage les garçons et participer à des discussions intéressait davantage les filles.

En outre, la prévalence de tabagisme à 16 ans était plus élevée chez les filles (23.8% contre 18.7% pour les garçons), le mésusage d’alcool a augmenté de manière spectaculaire à 16 ans tant chez les filles (8.2% en 2012 à 33.9% en 2014) que chez les garçons (11.4% en 2012 à 35.2% en 2014). Quant à la consommation de cannabis, garçons (20.8%) et filles (19%) étaient touchés en proportions égales en 2014. Nous relevons enfin que les problèmes de sommeil concernaient 2/5 des filles et 1/3 des garçons, alors que les céphalées et les problèmes de poids touchaient davantage de filles que les garçons sur les deux ans.

Conclusions

Ce rapport présente les tendances observées entre 2012 et 2014 concernant  l’utilisation d’Internet et ses facteurs associés auprès d’un échantillon représentatif d’adolescents du Canton de Vaud. Nous avons pu observer que la proportion des utilisateurs problématiques d’Internet chez les adolescents suisses n’est pas alarmante et décline considérablement sur les deux années de suivi. En guise de conclusion, il importe de rappeler qu’Internet répond aux besoins des adolescents, en offrant un terrain propice aux processus de socialisation(1), d’exploration d’identités(1), d’expérimentation ou de recherche de sensations(2). En outre, les adolescents en utilisant ces médias répondent aux attentes de la société qui les encourage fortement à naviguer de manière responsable, à rester informés, à partager leurs idées, à commenter ou à rechercher et co-construire le savoir. Sans nier les dangers inhérents à l’usage problématique d’Internet, il est probable que les adultes et les parents centrés sur leurs perceptions et inquiets de l’avenir des jeunes générations aient de la peine à reconnaître les apprentissages importants que peuvent faire les adolescents lorsqu’ils se connectent. Nous pourrions conclure tel que le postule Safont-Mottay(3), que pour la grande majorité des jeunes Internet est devenu un « espace de vie banal dans lequel on se rend quotidiennement pour échanger, interagir, jouer, travailler ou commercer » sans danger.

Recommandations

Les résultats de notre étude nous amènent à suggérer quelques recommandations :

  • Le pourcentage de jeunes qui ont un comportement problématique face à Internet diminue de manière importante avec le temps et à 16 ans ils ne sont qu’une minorité. Bien que les campagnes de prévention devraient viser tous les jeunes, ce sous-groupe de jeunes devrait être mieux défini et visé de manière plus spécifique.
  • Notre étude montre que bien que le nombre de jeunes qui ont un comportement problématique face à Internet diminue de manière importante, le taux de ceux qui y passent plus de 2 heures par jour augmente. Le temps que les jeunes passent devant les écrans n’est pas seulement pour leurs loisirs, mais aussi en grande partie pour leurs études ou leur travail. De ce point de vue, la limite préconisée de 2 heures par jour devant un écran est obsolète et la recommandation devrait être adaptée à la situation actuelle.
  • Notre étude montre aussi que certains comportements addictifs sur le web (notamment les sites de jeux en ligne) diminuent de manière importante au cours du temps, surtout parmi les garçons. Il faut rassurer les parents sur le fait que, pour la plupart des jeunes, ce type de comportement est transitoire.
  • Dans le même sens, il est important lors qu’on évalue le comportement des jeunes face aux écrans de différencier entre le temps dédié au travail ou aux études du temps dédié aux loisirs. Seul ce dernier devrait être comptabilisé pour ce genre d’évaluation.
  • Un phénomène observé pendant les 2 ans de suivi a été le fait que la connexion à Internet se fait actuellement majoritairement via Smartphone et beaucoup moins via un ordinateur. Ces nouveaux dispositifs permettent d’être continuellement connectés à Internet et il devient de plus en plus difficile  pour les jeunes de bien définir tant le temps qu’ils passent sur le web que ce qu’ils y font (école ou loisirs). Très souvent, ces usages sont multiples et simultanés (multitasking). Il est donc nécessaire de développer des nouveaux outils d’évaluation pour mieux approcher et comprendre ce phénomène.
  • Dans le même sens, il est très probable que cette possibilité d’être connecté à tout moment explique que ces jeunes dorment moins que ce qui est souhaitable. Ce déficit de sommeil peut avoir des conséquences tant sur leur santé que sur leurs activités académiques. De ce point de vue, il faut recommander aux parents de s’assurer que ces dispositifs soient éteints à partir d’une heure raisonnable.